La créativité en Art-thérapie
Comme l’enfant qui le fait naturellement par le jeu, entrer en créativité, ça serait peut-être se libérer d’affects devenus nocifs et qui dépassent nos capacités à les surmonter.
L’affect, qui n’a pas de mots, peut se trouver en souffrance comme une lettre en attente d’un destinataire. Il demeure alors en état de tension comme un cri silencieux qui, pour être perçu comme appel, doit être symbolisé par l’acte créateur. L’acte poétique, la créativité permet à ce cri silencieux de se hisser au rang de parole. Chez les artistes modernes et contemporains les exemples sont nombreux.
Par exemple l’œuvre emblématique d’Edvard Munch « Le Cri », nous laisse à penser qu’au fond la peinture n’est peut-être qu’un discours sous une forme muette. Comme si l’artiste avait souhaité rendre visible ce qu’il ne parvenait pas à crier par le langage conventionnel… l’inpensable, à une époque où l’insoutenable devint réel (2e guerre mondiale et ses génocides).
Ce qui a permis à P. Claudel dans L’œil écoute de dire que : « Les tableaux de maître sont emplis par la sonorité d’une phrase non prononcée ». Il conclut alors que la peinture est « L’école du silence ».
Mais pourquoi chercher un autre moyen d’expression par la créativité en art-thérapie, pourquoi porte-elle cette dimension thérapeutique ?
On parle parfois de ce que, du langage, est perdu ou n’a pu être dit, peut-être ce serait de cet ordre, quelque chose d’indéfini. Certains parlent de l’indicible voir de l’ineffable lorsque la souffrance dépasse l’inpensable. Que faire lorsque la souffrance n’a pas de mots ? C’est ici que l’art-thérapeute peut intervenir.
Avec Munch, je donne ici l’exemple de la peinture mais les nombreuses productions contemporaines voir postmodernes, sont certainement l’expression d’une autre liberté de prise de parole et ce que nous vivons aujourd’hui sur la scène de l’art contemporain est un bel exemple de la variété des matériaux utilisés : de Niki de Saint Phalle dont les œuvres sont des agglutinements d’objets et de petits jouets, Yodogawa et ses œuvres faites de déchets, Banksy qui cri sa révolte sur les murs, Robert Gober et ses sculptures en cire d’abeilles et poils humains, Adel Abdessemed et ses œuvres en fil de fer. Les matériaux ne sont plus un frein à l’expression, ils sont devenus un pretexte à autre chose de plus urgent à communiquer, peut-être à une parole muette ou un cri inaudible.
Alors je me permets de penser que le bruit passé sous silence doit pouvoir s’inscrire, se peindre, se jouer, se poétiser, se raconter au risque de le voir devenir anxiogène voir pathogène et pour qu’enfin le bruit se taise car il peut se taire qu’une fois qu’il a pris forme, qu’il s’est inscrit d’une manière ou d’une autre.
Il y a bien d’autres modes de langages, chaque être humain possédant le sien. Mon rôle est alors d’accompagner, d’impulser les personnes à trouver, découvrir et créer leur propre langage singulier. Faire évoluer la diversité de ses langages pour qu’ils deviennent une sorte de « béquille » que l’on sort dès que ça ne va pas. Mais on peut également le considérer comme un traitement de fond lorsque la régularité de la pratique permet de dénouer des conflits intimes plus profonds, de les faire « respirer ».
Mon rôle en tant qu’art-thérapeute, consiste surtout à accueillir ce qui se dit d’une quelconque manière, d’entendre ce qui se dit, de recevoir le message, de le faire évoluer, le déplacer. Sans cet accompagnement, cette écoute, le « message » peut rester longtemps en attente et en souffrance.
L’important pour une personne en séance d’art-thérapie, ça serait de faire semblant, jouer le jeu, qu’elle se permette ce moment d’évasion, c’est déjà une première étape. Ensuite ça serait peut-être accepter ce dialogue avec soi, la créativité permet de se trouver un moyen de se dire autrement, de mettre en scène, mais à l’abris du cadre qui est proposé, quelque chose qui n’aurait pu se dévoiler ailleurs.
Au lieu de la création, on peut exercer son propre esprit d’invention, chacun peut trouver la forme de son être, de son Je, de trouver le moyen de ne plus subir mais de se sentir auteur et créateur. En faisant ses choix, et bien au-delà de ça, de se sentir vivant dans son libre arbitre, dans cette liberté donnée à soi-même comme forme d’autonomie retrouvée. Peut-être peut-on parler d’une forme de démocratie retrouvée lorsque la « conventionnelle » ne le permet plus. Un lieu créatif où se puise une forme d’énergie, une impulsion, un désir, qui fait que la réappropriation de qui je suis devient possible en dehors de la séance. Comme un souffle nouveau « ça serait la possibilité pour un être de se manifester à lui-même et de se manifester dans ses rapports au monde avec toutes les voies successives et simultanées qui sont en lui » (P. Emmanuel).
Ayant travaillé et compris à travers ma propre pratique et mon parcours de vie les mécanismes mis à l’œuvre dans le processus créatif, j’aspire à aider mon prochain, à lui transmettre ce qui pour moi fut un jour un soutient vécu, la créativité comme un autre langage possible à l’indicible.
L’espace que je propose veut participer à cette expression d’être soit pour plus tard, être mieux avec l’autre et les autres au quotidien et dans les compétences sociales attendues par ailleurs. Se permettre ce moment de récréation pour respirer et pouvoir mieux se recréer ailleurs dans le lien social.
À côté de l’envie d’accompagner et de soutenir les personnes, j’ai l’envie de pouvoir faire naître un lieu où la différence n’existe pas, où le jugement n’a pas sa place, où chacun est accueilli tel qu’il est dans toute la richesse de sa singularité à travers tout ce qu’elle promet de potentiel créatif et d’échanges humains. Il est bien question de l’Être Humain alors ce n’est pas le résultat, la production finale qui importe mais bien le cheminement singulier de la personne au sein des échanges poétiques de la rencontre entre le thérapeute et chacunes des personnes.
Magali Masselin Art-thérapeute